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    LES ENFANTS SIOUX LAKȞÓTA,

    Ou l'Enjeu Majeur de l'Éducation. 

     

    Extraits tirés du dossier "La Nation Sioux Lakota" pour la Revue Nitassinan n° 50 (1997)
    Par Monique Hameau et Sylvain Duez-Alesandrini

      

    Traditionnellement fondée sur l'autonomie et la cohésion sociale, l'éducation des jeunes Lakota fut prise en charge avec brutalité par la Société Blanche dès l'instauration des Réserves. Depuis les années 1970, les Lakota tendent à se réapproprier le système éducatif, mais les moyens et les débouchés échappent largement à leur contrôle.

    Les enfants Lakota sont appelés Wakanhejapi "Ils sont sacrés", ce qui témoigne de leur importance dans la Société Lakota traditionnelle. Ils sont traités avec une extrême affection par leur mère et les femmes de la famille. Les pères, les grands-pères, les oncles participent à l'éducation des jeunes enfants, ils leur apprennent à marcher, à nager, jouent avec eux et les mettent très tôt sur un cheval. Quand l'enfant atteint six ou sept ans, les femmes s'occupent plus particulièrement des filles et les hommes des garçons. Tous les enfants, même les garçons jusqu'à l'adolescence, ont le devoir d'aider les femmes à monter le tipi, ramasser le bois, récolter les baies et les racines. Les enfants Lakota sont libres, mais responsables de leurs actes. Ils ne sont jamais frappés, ni même directement punis — les Lakota furent indignés de voir des enfants blancs fouettés par leurs parents —. L'adhésion à la morale sociale de la Tribu doit être librement consentie, la contrainte et la crainte ne pouvant créer que des frustrés, des ennemis de leur propre Peuple. La cohésion familiale, l'adhésion aux valeurs tribales, le consensus social sont absolument essentiels. La Société Lakota éduque ses enfants par l'exemple de la pratique des vertus de courage, de générosité, d'endurance et de sagesse.

    Les garçons sont soumis à de rudes épreuve destinées à les préparer à affronter la douleur et la peur, à les endurcir au froid et à la fatigue, aux privations. Comme les hommes, ils doivent se jeter dans la rivière en plein hiver, supporter sans se plaindre des épreuves douloureuses, être capables de survivre plusieurs jours dans la nature par leurs propres moyens. Les jeux de force et d'endurance, d'adresse et de courage les préparent à leur rôle de chasseurs, guerriers et leaders de leur Peuple. Les Cérémonies rassemblant le Peuple, les exploits des aînés, les récits des Anciens complètent la formation morale et spirituelle des jeunes Lakota. Quand les Lakota ont été concentrés sur les Réserves, le pouvoir Américain s'est trouvé confronté à leur résistance à l'assimilation.

    Des "Amis de l'Indien" se sont avisés que si les adultes Indiens, trop sauvages, étaient irrécupérables, la jeune génération pouvait être conduite vers les lumières de la civilisation, pour peu qu'une éducation convenable lui soit donnée. A partir de 1879, des internats pour jeunes Indiens sont ouverts, notamment à Carlisle, Pennsylvanie, et à Hampton, Virginie. Destinés à recevoir les Indiens de l'Ouest, ces Établissements sont établis à l'Est afin d'éloigner les enfants de leurs familles. En 1892, le Capitaine Pratt, Directeur de l'École de Carlisle, déclarait à Denver : "Tout ce qu'il y a d'Indien dans la race doit être tué. Tuez l'Indien en lui, et sauvez l'Homme !"


    Carlisle School, 1883

    Le Commissaire aux Affaires Indiennes Thomas J. Morgan recommandait en 1889 "Toute mesure utile doit être prise pour placer ces enfants sous des influences civilisatrices convenables. Avec l'éducation, les Indiens deviendront les citoyens utiles et heureux d'une grande République. Si une éducation obligatoire peut se justifier, c'est certainement dans ce cas." Le Révérend Lyman Abbott avait précisé l'année précédente dans une intervention publique : "L'éducation ne doit pas être simplement offerte aux Indiens. Elle doit leur être imposée par une autorité supérieure. En d'autres termes, l'éducation des enfants Indiens doit être rendue obligatoire". Bien que des cas précis d'enlèvements d'enfants n'aient pas été enregistrés chez les Lakota, comme cela s'est produit pour les Navajo et les Apache, les pressions furent très fortes pour les scolariser dans les internats ouverts par les missionnaires sur les Réserves. Rien n'est épargné pour arracher ces enfants psychologiquement et spirituellement à leur Peuple.

    On leur apprend à avoir honte d'eux-mêmes, de leurs parents, de leur culture. Ils doivent expier leur "sauvagerie". A leur arrivée à l'école, les garçons sont tondus, leurs vêtements Indiens Brûlés et remplacés par des uniformes. Ils sont considérés à priori comme sales, paresseux, amoraux, pervers. La langue anglaise est strictement imposée. L'histoire des États-Unis leur est enseignée et il leur est demandé "de concevoir de la fierté pour les accomplissements de ses grands hommes", pour la plupart des massacreurs de leur Peuple. On a rarement vu dans l'histoire une telle entreprise de lavage de cerveau. Les témoignages abondent sur les brutalités exercées sur les jeunes Indiens dans les internats : privation de nourriture, enfermement au cachot, humiliations. Des enfants furent suspendus toute une nuit par les poignets pour "faute grave". On parla même de morts sous le fouet. Il y eut de nombreux sévices sexuels, notamment dans les Écoles religieuses. On comprendra pourquoi les parents Indiens ont été de plus en plus réticents à y envoyer leurs enfants, voyant dans l'École le pire instrument d'oppression utilisé contre eux par l'homme blanc.

    Depuis les années 1970, les Indiens ont tenté de reprendre leur avenir en main, c'est-à-dire l'éducation. Là aussi, les Lakota ont montré la voie. Les noms des Écoles marquent cette nouvelle fierté de la Culture Lakota. C'est Crazy Horse School à Wamblee, Loneman School à Oglala, Little Wound School à Kyle. Holy Rosary Mission School, l'école fondée par les Jésuites en 1879 à Pine Ridge, s'appelle maintenant Red Cloud School.

    Les programmes, les méthodes d'enseignement sont contrôlés par les Lakota, même s'ils doivent encore faire appel à des enseignants non-Indiens. En 1970, la Réserve de Rosebud Sinte Gleska College ainsi nommé en l'honneur du Chef Brûlé Spotted Tail. Deux ans plus tard est créé sur la Réserve de Pine Ridge Oglala Lakota College. Les premières classes ouvertes près de Kyle, une Communauté traditionaliste de l'Est de la Réserve, sont installées dans deux vieux mobile-homes. Neuf autres centres seront ouverts par la suite, dont un à Rapid City ou résident 12 000 Lakota. L'ouverture de ce dernier est une victoire symbolique, le début de la réappropriation par les Lakota de leur espace Territorial et Culturel. Les difficultés financières ont été énormes et le sont plus que jamais, maintenant que la plupart des centres tombent en ruine et que les crédits fédéraux pour l'éducation Indienne sont constamment réduits depuis le début des années 1980.

    Les collèges de Pine Ridge et de Rosebud proposent un cycle de quatre ans d'études et conduisent les élèves au niveau de la Licence. En 1992, le Collège de Rosebud est devenu Sinte Gleska University, le seul établissement Indien de ce niveau. Le Collège de la Réserve de Cheyenne River est installé à Eagle Butte et celui de la Réserve de Standing Rock a pris l'an dernier le nom de Sitting Bull College. Les Nations Indiennes des Plaines ont le plus grand nombre de collèges gérés directement par les Tribus. Les finalités culturelles, intellectuelles et spirituelles de ces institutions sont définies et mises en oeuvre par la Communauté Tribale et les Conseils réunissant enseignants, parents et étudiants. Tous mettent, avec plus ou moins de force, l'accent sur la préservation et la valorisation de la langue, de l'histoire Tribale, de la Culture Traditionnelle. Des cursus d'études Lakota sont proposés, et de plus en plus suivis. Les collèges Indiens doivent s'efforcer de donner à leurs élèves un bon niveau d'études classiques et techniques afin qu'ils puissent accéder à des emplois qui leur permettront de vivre dans la Société Américaine qui les entoure. Les études sont aussi orientées vers des spécialités qui peuvent être utiles à la Société Lakota elle-même : médecine, enseignement, administration, comptabilité, communication, ainsi que des formations techniques de haut niveau. Des sections de gestion de Casinos ont même été ouvertes.

     

    La Société Traditionnelle

     

    La remarquable réussite des Collèges Lakota ne doit pas masquer les problèmes. Même les étudiants qui les fréquentent, constituant une élite sociale et intellectuelle, reflètent les difficultés de la Société Lakota. La moyenne d'âge est de 27 ans, beaucoup d'étudiants sont chargés de famille et il n'y a que 35% de garçons, ce qui révèle les problèmes sociaux et psychologiques des hommes Lakota. La plupart des étudiants doivent travailler pour faire vivre leur famille, même avec une bourse. Certains s'engagent pendant deux ans dans l'armée afin de mettre leur solde de côté pour payer leurs études. Fréquentés par des étudiants motivés, les Collèges Lakota ont un très bon taux de réussite, à la différence de nombreuses Écoles où l'échec scolaire des enfants Indiens est souvent de plus de 50 %. Ceux qui vont à l'École sur les Réserves réussissent mieux que ceux qui fréquentent des Écoles Blanches où ils sont minoritaires et où leurs besoins culturels et psychologiques sont totalement ignorés, pour ne pas dire plus. L'apathie, le repli sur soi sont souvent pour ces enfants le seul moyen de se défendre et de préserver leur identité. Beaucoup abandonnent l'École vers treize ou quatorze ans, devenant des proies faciles pour les nombreux gangs qui sévissent au voisinage des Réserves, pour la délinquance, l'alcool, la drogue, le suicide…


    Red Cloud School, 2014

    La création, à Rapid City, d'une École entièrement gérée par les Lakota, mais ouverte à tous, est actuellement étudiée par des enseignants Lakota et les Gouvernements Tribaux. II y a urgence, les fonds pour l'éducation spécifique donnée aux enfants Indiens, les programmes bilingues, le soutien scolaire, viennent d'être supprimés dans les Écoles de Rapid City. Que devient un jeune Lakota qui a réussi ses études au prix de grands sacrifices. Étant Indien, il a moins de chances qu'un autre de trouver l'emploi et la position sociale auxquels ses diplômes devraient le faire accéder. Les emplois offerts sur les Réserves sont rares, mal payés, exercés dans des conditions matérielles et morales difficiles. De jeunes Lakota reviennent cependant dans leurs Communautés pour y être enseignants, travailleurs sociaux, infirmières, médecins. Un malaise fondamental subsiste. Ce qui est investi dans la Société dominante durant les années d'études, surtout dans les Grandes Universités "Blanches", ne l'est-t-il pas au détriment de l'indianité profonde ?


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